| Flashback du mardi 20 mai |
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Après l'arrivée remarquée de la comédienne australienne Nicole Kidman, le mardi 20 mai a été une journée beaucoup moins agitée, du moins en apparence. Trois films de la sélection officielle ont été présentés, Tiresia, du Français Bertrand Bonnello, Le Temps du loup de l'Autrichien Michael Haneke et Bright Future (Akarui Mirai) du Japonais Kiyoshi Kurosawa. Trois longs-métrages ambitieux et exigeants qui ont donné à cette journée une tonalité assez étrange.
Tiresia, troisième long métrage de Bertrand Bonello, marque le retour du cinéaste français à Cannes deux ans après Le Pornographe, qu'il avait présenté à la Semaine de la critique. Cette fois, il met en scène Tiresia un transsexuel brésilien vivant clandestinement à la périphérie parisienne. Séquestré par un esthète, il est recueilli par une jeune fille simple et sauvage... Laurent Lucas, vu dans Harry, un ami qui vous veut du bien, incarne deux rôles dans cette adaptation moderne du mythe grec, alors que le personnage principal revêt les traits de deux comédiens amateurs, Clara Choveaux et Thiago Teles.
Présenté hors-compétition, Le Temps du loup de Michael Haneke devrait surprendre et déconcerter par son traitement réaliste de la "Grande Catastrophe". Le cinéaste autrichien est de retour à Cannes deux ans après La Pianiste, où il avait remporté le Grand Prix du Jury et deux Prix d'interprétations pour Benoît Magimel et Isabelle Hupert. Une Isabelle Hupert qui fait d'ailleurs partie du générique du Temps du loup, tout comme Patrice Chéreau, Président du Jury du 56e Festival de Cannes. A noter que la montée des marches du long métrage a vu la présence remarquée de Béatrice Dalle, toute de noir vêtue.
Dernier film à être présenté en ce mardi 20 mai, Bright Future (Akarui Mirai), oeuvre emplie de noirceur signée du Japonais Kiyoshi Kurosawa. Où l'histoire pour le moins étrange d'un homme qui confie une méduse à un ami après avoir été accusé de l'assasinat de son employeur.
Cette journée a également été marquée par la projection de La Meilleure jeunesse, oeuvre fleuve de plus de six heures signée de l'Italien Marco Tullio Giordana et présentée dans la section "Un Certain Regard". Une vraie curiosité venue de l'autre côté des Alpes...
Le Jury oecuménique a aussi été en vedette ce 20 mai, dévoilant ses six membres lors d'une conférence de presse spécialement organisée pour l'occasion. Ce Jury a pour vocation de "couronner des oeuvres de qualité artistique qui sont des témoignages sur ce que le cinéma peut nous révéler de la profondeur de l'homme et de son mystère au travers de ses préoccupations, de ses déchirures et de ses espérances".
Enfin, Federico Fellini, à qui le 56e Festival de Cannes rend hommage, a été doublement mis à l'honneur. D'abord par une soirée lui étant dédiée au cours de laquelle ont été projetés Huit et demi (à la Salle Bunuel du Palais des Festivals) et le long-métrage Et vogue le navire (au Cinéma de la plage). Ensuite, plus indirectement, avec une "leçon de musique" en l'honneur de Nicola Piovani, collaborateur du maître italien par trois fois (Ginger et Fred, Intervista et La Voix de la lune). | |
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| La musique selon Nicola Piovani |
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| Si la Croisette accueille depuis de nombreuses années déjà sa "Leçon de cinéma" annuelle, donnée cette année par Oliver Stone, le 56e Festival du film inaugure la "Leçon de musique" consacrée à la musique de film, pendant quasi-obligatoire et pourtant méconnu des images diffusées à l'écran. Et pour cette grande première en cette édition centrée sur Federico Fellini, c'est logiquement Nicola Piovani, collaborateur du metteur en scène à trois reprises (Ginger et Fred en 1986, Intervista en 1987 et La Voix de la lune trois ans après), qui était invité à donner sa leçon le mardi 20 mai dans la salle Bunuel du Palais.
Ambiance intime, piano noir et quelques chaises sur la scène. "Leçon, c'est un mot très imposant", commence par commenter le compositeur, qui a également travaillé avec Nanni Moretti (La Messe est fini ou La Chambre du fils), les frères Taviani (La nuit de San Lorenzo ou Le soleil même avant la nuit) ou Roberto Benigni (La vie est belle et récemment Pinocchio). "Moi, je viens ici avec mon expérience, les trois films que j'ai faits avec Fellini et nos dix ans de collaboration".
Assis ou devant le piano avec lequel il illustre son propos, Nicola Piovani voyage. Dans le temps, dans l'espace, évoquant l'Italie et le magicien. "Notre première collaboration, c'était sur Ginger et Fred. Plusieurs mois après le tournage, nous nous sommes retrouvés seuls dans mon studio. Il y avait Fellini, moi, mon piano et c'est tout. Fellini essayait de décrire ce qu'il voulait avec des mots, bien qu'il avait la conviction que les mots ne nous serviraient à rien."
Pendant près d'une heure, le musicien passe de son piano à son micro, faire resurgir la nostalgie au détour d'un air exécuté au piano, passe du français à l'italien, se répand en anecdotes. "Fellini était très vulnérable à la musique. Il disait qu'il avait peur de la musique, qu'il ne pouvait l'écouter que lorsqu'il travaillait parce que sinon, il était trop troublé." Conclusion en forme d'hommage : "Vous pouvez comprendre que ce n'est pas moi qui vous ai fait la leçon, c'est la leçon que j'ai reçue de Fellini que je vous transmets."
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| Le retour de Bertrand Bonello sur la Croisette |
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Avec Tiresia, Bertrand Bonello signe un film dérangeant, d'une noirceur impressionnante qui sublime l'anormalité de la transsexualité. Ainsi, le réalisateur du Pornographe, présenté dans le cadre de la Semaine de la Critique en 2001, revient cette année à Cannes mais cette fois-ci en compétition officielle.
Troisième collaboration entre l'acteur Laurent Lucas et Bertrand Bonello, ce drame met en scène Tiresia, une prostituée transsexuelle que séquestre un esthète à la pensée poétique et morbide. Privée de ses hormones quotidiennes, elle retrouve peu à peu l'aspect d'un homme. Son ravisseur décide alors de s'en débarrasser non sans lui avoir crevé les yeux. Gisant sur un chemin de campagne, Tiresia est recueillie par une adolescente muette. Redevenu homme, il se retrouve doté d'un pouvoir de prédiction.
Cette histoire est en fait inspirée de la mythologie grecque : Tiresia, mi-homme mi-femme, se trouve aveuglée par la déesse Athéna, celle-ci ayant été vue en train de se baigner par ce dernier. Emue par les lamentations de la mère de Tiresia, Athéna attribua à ce dernier un don de prophétie.
Transposée de nos jours, cette fable se distingue par un onirisme et un symbolisme profonds que renforce le magnétisme de Laurent Lucas, présent à travers deux rôles : celui du ravisseur Terranova et du père François. Scènes à la limite du soutenable, plans fixes et longs silences confèrent à cette oeuvre un caractère désespéré qui ne manquera pas d'émouvoir le jury de la compétition officielle. | |
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| La méduse de Kurosawa |
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Première compétition pour Kiyoshi Kurosawa. Alors que son illustre prédécesseur Akira, avec qui il ne partage aucun lien de parenté, s'était illustré en 1980 avec Kagemusha (Palme d'or), le réalisateur emblématique de la nouvelle génération nippone (Cure, Kaïro, Charisma) découvre le Festival de Cannes avec Akarui Mirai (Bright future), étrange fable dont le personnage principal est... une méduse.
L'animal, d'un rouge éclatant, est légué à Yuji à la mort en prison de son collègue et ami Mamoru, accusé d'avoir tué leur patron commun. Situé comme ses précédents longs métrages dans les froids décors du Tokyo contemporain, Akarui Mirai profite de la permanente recherche formelle de son réalisateur, alternant entre haute définition et prises de vue digitales.
Patient malgré la courte durée de son film (1h32), Kiyoshi Kurosawa tisse lentement sa toile, mortelle comme la piqûre de sa méduse, vers des abymes de folie et d'illusions perdues. Un constat amer, qui domine une conclusion énigmatique au léger accent anarchiste.
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| L'Apocalypse selon Haneke |
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Quand Michael Haneke filme la "grande catastrophe", cela donne un film d'anticipation atypique, sans artifices ni effets spectaculaires, centré sur des personnages ordinaires pris dans le tourbillon d'événements extraordinaires. Des personnages comme Anne (Isabelle Huppert) et ses enfants, partis pour un week-end familial à la campagne. Trouvant des étrangers dans leur maison, ils errent sur les routes d'un pays ravagé par la pénurie d'eau, de nourriture et d'énergie, jusqu'à rencontrer une petite communauté de réfugiés qui attend un hypothétique train dans un hangar désaffecté...
Apre, sombre, brutal, noir, emmené par un solide ensemble d'acteurs (Isabelle Huppert, le Président du jury Patrice Chéreau, Béatrice Dalle, Olivier Gourmet, Serge Riaboukine, Maurice Bénichou et les jeunes Lucas Biscombe, Anaïs Demoustier et Hakim Taleb, surprenants), le nouveau film du réalisateur de La Pianiste (Grand Prix en 2001) plonge le spectateur dans un monde indéfini et par là-même universel. Témoin de la déliquescence de l'humanité, il filme la rupture du lien social entre ces êtres perdus au milieu de nulle part, qui se laissent rapidement aller au troc, à la violence, au racisme, au meurtre même. La loi du plus fort prime pour des Hommes devenus d'impitoyables bêtes prêtes à tout pour la (sur)vie, jusqu'au sacrifice mystique. L'homme est un loup pour l'homme : et si le Temps du loup était proche ? | |
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